Je ne suis pas encore à 4 mois de grossesse et mon ventre est déjà très proéminent. Je n’ai déjà plus besoin de demander de place dans le métro. Ou que j’aille, on se lève, on me tape sur l’épaule, on s’efface, on s’excuse si on m’aperçoit alors que je suis restée plus d’une minute debout dans la rame. Hier, un homme m’a attrapée par le sac : "Sientate !" m’a-t-il dit fermement. J’ai souri en m’asseyant, l’ai remercié en espagnol aussi. L’entendre m’a rappelé mon expérience espagnole, mes trois mois passés là-bas, alors que j’allais si mal et je m’imaginais passer par la fenêtre de l’entreprise où je travaillais. J’aimais la façon dont les gens me traitaient dans la rue, leurs petits mots, « Nena », « pequena » qu’ils employaient pour me parler. J’aimais cette sollicitude, cette bienveillance, qui me rassurait.
Lundi, je suis retournée dans le 17ème, sur ma pause déjeuner, pour faire refaire ma prescription de Fleurs de Bach. Entre-temps, l’eczéma qui était parti pendant les vacances est revenu. La nuit, je suis réveillée en sueur en m’imaginant que j’ai écris une énorme bêtise dans un article, qu’on s’en rend compte et qu’on m’humilie publiquement comme la pire journaliste de la planète. Ces rêves, ces « fantaisies » comme dirait ma psy, qui m’assaillent, nuit après nuits et à certains moments de la journée, font la part égale avec les rêves où je perds l’un ou l’autre de mes enfants. J’imagine des morts violentes, des accidents, des catastrophes. Je n’arrive plus à fermer les yeux, ni à éteindre la lumière, tant ces images sont présentes. Alors, je lis. Je lis des livres pour le travail, sur la maternité, l’accouchement, tout ce que je dois lire, à moitié par intérêt à moitié par passion. Parfois, quand l’angoisse est trop forte, je me relève et je passe une tête dans la chambre des filles. Elles dorment chacune dans leur petit lit. Je contemple R., sa chevelure d’or désordonnée, sa jambe qui sort de la couette, le livre dont elle regardait les images encore sur son ventre. J’entends la respiration de L., sa joue contre le matelas, ses deux doigts presque encore dans sa bouche, qu’elle suçote pour s’endormir. Je ne peux pas les embrasser sur les cheveux, à peine m’approcher pour respirer leur odeur, car ni l’une ni l’autre n’a un sommeil de plomb. Mais je les contemple longuement. J’aime leur bras ronds, leurs mimiques de toutes petites, et même leurs brusques colères, qui ne sont la plupart du temps que des marques de fatigues extrêmes, même si dans un premier moment elles me donnent toujours envie de leur crier dessus. Je contemple mes deux petites filles, ces deux enfants si différentes, cadeaux inespérés, et je m’émerveille. De ce qu’elles sont, de ce qu’elles deviendront, même si je voudrais retenir ces moments pour la vie entière. Retenir leurs fous rires, leurs bras qui se tendent, leurs « Je t’aime maman d’amour » dont je voudrais imprimer de toutes mes forces la phrase au fond de mes oreilles.
C'est bête ces idées noires. Mais je n'y peux rien, je n'arrive pas à m'en défaire, cela fait presque partie de moi à force.
La nuit je rêve que mes enfants meurent et chaque matin, les voir se réveiller me ferait presque pleurer de joie.