Tentative d'aménagement

Je sens son odeur sur mes doigts.

L’embrasse juste derrière l’oreille, là où sa peau est si douce.

J’enfouis mon nez dans son cou, dans sa chaleur.

Je pense souvent à ma folie, à mon amour pour lui, à cette forme d’hystérie qui nous a si souvent divisés, parfois jusqu’à nous séparer.

L’homme de ma vie est entré dans la mienne un soir d’octobre 2001.

Nous buvions l’apéro chez un ami de fac, B. avec C. mon amie adorée, adorable et si jalouse, que j’ai quitté depuis, avec  fracas et larmes des deux côtés.

Y. est apparu dans l’encadrement de la porte du salon, alors que cela faisait une heure que nous riions et parlions fort dans ce trop grand appartement de la place Saint Paul à Lyon, encombré de livres, de films et de disques.

Il n’était pas sorti. Pas même pour dire bonjour. Pas même intrigué par les amies de son colocataire peu discret.

B. a commenté sobrement : « Y., mon colocataire »

J’étais fascinée. Comment, alors que deux jeunes femmes adorables, au rire intarissable, buvaient des martinis dans son salon, comment et pourquoi n’était-il pas sorti ? Au moins par curiosité ? Était-il donc au dessus de tout cela ? Je l’ai cru longtemps.

Depuis, j’ai compris que ce que je prenais pour de la suffisance était un état quasi maladif de timidité.

Le soir même, j’étais déjà sous son charme. Nous étions un petit groupe assis dans le froid et la nuit montante, sur la même place Saint Paul. Je revenais du Québec où j’étais partie observer les baleines et faire un rapport les méthodes de protection des cétacés dans la baie du saint Laurent. Il me parlait de ce même pays  qu’il avait visité avec des mots si choisis, si savants, si passionnants, que je ne pouvais plus détacher mes yeux de ses lèvres ourlées. Envie de l’embrasser, d’inhaler la fumée des cigarettes roulées qu’il fumait l’une après l’autre, envie d’embrasser ses doigts, de passer ma main dans ses cheveux.

Je n’en faisais rien, mais le dévorait du regard.

Lui me jetait de temps à autre des regards mi-amusé mi-surpris. Ainsi, je semblais être tombée « en grand imbécile amour. Extasiée et les yeux frits », comme Ariane dans Belle du Seigneur -que j’étudiais à nouveau cette année-là en Lettres.

Cette nuit-là, mon destin s’est scellé.

J’étais amoureuse de lui. Un jour, nous vivrions en ville, dans un grand appartement ancien, et nous aurions trois enfants beaux comme des soleils.

Lui ne le savait pas encore -les hommes ne savent pas ces choses-là -mais moi si.

Plus tard, quelques jours après cette soirée, il essayera de m’embrasser, rue d’Algérie, juste avant la Saône. Je retiendrais son geste, mutine : « Courtise-moi. » Il n’a pas compris de suite. A cru à un refus. J’ai du lui répéter : « Toi et moi, cela va durer longtemps, cela peut devenir une très belle histoire d’amour. J’en ai assez des coups d’un soir. Je veux être courtisée, par toi. Sortons, allons faire des promenades, des sorties au restaurant, sans nous embrasser. Je veux être sûre que tu es le bon »

Il a joué le jeu, des semaines durant.

Des discussions passionnées dans des restaurants que nous n’interrompions que lorsque le serveur venait poliment nous expliquer qu’il fermait. Des balades mains dans la main dans cet hiver lyonnais de plus en plus glacé. Y. était séduit lui aussi par ce jeu chat et de souris.

Et un soir sur la passerelle rouge au dessus de la Saône, au moment de se quitter, moi remontant vers Saint Vincent et lui rentrant à Saint Paul, il m’a enfin embrassée.

Ce soir-là, c’était le 27 novembre 2001.

Cela fait 9 ans aujourd’hui.

Bon anniversaire mon amour !