A nous deux

Café noir.

Petits yeux.

Pas assez dormi.

Me sens désemparée face à ce bébé vorace, qui se jette sur le sein, tête pendant près d’une heure alors que je somnole douloureusement et crie de faim sitôt reposé dans son moïse d’osier.

Elle grogne, se tortille, comme un petit animal.

Je suis effrayée par ses besoins incessants, la constante disponibilité qu’elle exige. 

Alors, une nouvelle fois, j’oublie le mal de dos, mon manque de sommeil et ma poitrine douloureuse.

Une nouvelle fois, je prends ce petit paquet braillard, pas plus gros qu’un « cochon de lait, rose et savoureux » (Colette)

Une nouvelle fois, l’installer pour la tétée, plonger mon regard dans le sien.

Et là, comme à chaque fois, laisser le miracle s’accomplir.

J’écoute ses petits bruits de déglutition, je sens ses doigts minuscules s’accrocher au t-shirt, ses pieds miniatures battre un rythme imaginaire.

J’admire la perfection de ses paupières de nacre, le dessin de ses cheveux, le léger duvet blanc de ses oreilles ourlées, l’exquise justesse de ses touts petits ongles.

Après la tétée, je marche doucement dans la chambre, en la tenant contre moi pour une valse au ralenti.

Il est 4 heures du matin, pas une lumière ne filtre par le rideau, et même le chat dort du sommeil du juste.  

J’embrasse sa tête trop chaude, me saoule de son odeur, écoute la musique de ses petits bruits de contentement. Je guette les grands sourires qu’elle adresse le plus souvent au mur derrière moi, mais que mon cœur reçoit comme un présent personnalisé.

Souvent, je me couche en chien de fusil et la place face à moi, sa petite joue contre le drap.

Ses yeux encore bleus de chaton nouveau-né se transforment alors en deux billes sombres qui semblent renfermer tous les mystères de l’univers.

La chaleur que nos deux corps produit est à peine ventilée par les petits battements de ses mains, les mouvements incontrôlés de ses bras potelés et de ses jambes de grenouille.

Elle me regarde avec l’intensité d’un amant au premier soir d’une nuit trop attendue.

Alors. 

Une forteresse d’amour monte lentement entre nous, englobe son père qui dort paisiblement à nos côtés, inonde la chambre, submerge le quartier et toute la ville alentour.

Nous vibrons à l’unisson. 

Je suis tout à elle, elle est toute à moi.

A nous deux, nous devenons indestructibles.

Commentaires

1. Le lundi, 1 novembre 2010, 09:49 par clem

ta description est sublime et si juste.
Ta petite Rose...
j'ai hâte de la revoir!

2. Le lundi, 1 novembre 2010, 13:57 par Oxygène

Sublime ! C'est le mot qui convient.

3. Le mardi, 2 novembre 2010, 05:40 par Valérie de Haute Savoie

oui tu parles très joliment de ce lien qui se tisse.

Mais je suis désolée de lire que tu as si mal au dos.

4. Le mardi, 2 novembre 2010, 07:28 par captaine lili

La maternité te fait écrire joliment, particulièrement joliment...

5. Le mardi, 2 novembre 2010, 08:04 par Anne

Souvenirs, souvenirs...

6. Le mardi, 2 novembre 2010, 10:38 par Marloute

Clem : ça me fait plaisir de lire sous ta plume que c'est juste. Je me sens moins seule!
Oxygène merci!
Valérie : en effet, un dos pas musclé pendant la grossesse est un dos qui n'est pas plus musclé après! Mais bon, si je me repose beaucoup, ça va!
Capitaine : merci!
Anne : oui, je crois que c'est le texte de toutes les mamans de nouveaux-nés!

7. Le jeudi, 4 novembre 2010, 20:13 par clara

Ton texte est vraiment magnifique...Il exprime des sentiments que j'avais du mal à décrire pour mon premier bébé...et qui me donnent du courage pour "affronter" les premiers mois du deuxième qui arrive bientôt! Je trouve que tu te débrouilles déjà parfaitement pour gérer les bonheurs et les frustrations des toutes jeunes mamans...Pleins de bonheurs à vous!