Dans la maison vide

Dans la maison vide, il fait doux. Tout est silencieux. On entend le ronronnement du frigo et de la fontaine à eau du chat. Il y a aussi l’eau du thé qui bientôt va bouillir.

Pendant que Y. crapahute au fin fond de l’Asie, en reportage, avant-hier, j’ai descendu seule les trois enfants à Lyon. Ce qui devait être une simple formalité s’est transformé en parcours du combattant : RER et train en grève, la Gare s’est transformée en gigantesque maelstrom de voyageurs en attentes et mécontents. J’ai dû jouer des coudes, avec une grosse valise et trois enfants, pour accéder au train qui nous revenait de droit, les voyageurs précédents ayant vu leur TGV annulé. Enfin assises, L. a déclaré une migraine carabinée, que n’a pas réussi à enrayer le doliprane que Y. m’avait soigneusement rangé dans le sac des enfants avant de partir. Elle a donc voyagé sur mes genoux, gémissant faiblement, avec une nausée persistante. Heureusement, du moment où ma sœur est arrivée avec mon beau frères, j’ai senti mes soucis s’alléger. Ils portaient contre eux leur nouveau-né, une petite beauté aux traits fins et aux beaux yeux bleutés. Chez eux, les enfants ont pu jouer avec toute sortes de choses : ballon de grossesse, mobiles du bébé, tapis d’éveil… Mon autre sœur est alors arrivée, avec son propre nourrisson, de grosses joues rondes, de grands yeux clairs aussi et une masse de cheveux impressionnante pour son jeune âge. Mes deux nièces ont le même âge, à deux jours d’écart. J’adore comparer ces deux bébés. Leur peau. Leurs cheveux. Leurs joues. Et même leur taux de graisse : l’une est fine et maigrelette des cuisses, malgré ses grosses joues, l’autre potelée comme un cochon de lait, des élastiques aux poignets comme le bonhomme Michelin, tant elle profite du lait de sa mère. La première s’endort partout, facile à vivre, l’autre se réveille souvent, et semble anxieuse dès qu’elle est seule. Deux personnalité de bébés qui ne présage en rien les personnes qu’elles vont devenir.

Après l’arrivée de mes parents, j’ai laissé partir mes enfants dans leur voiture, pour quatre heures de voyage avant de rejoindre les Cévennes. J’ai prié intérieurement qu’il ne leur arrive rien. Je viens de lire le récit de cette dame qui a perdu deux de ses trois enfants dans un accident de voiture. Je ne crois pas que je me remettrais de la perte des miens. J’en ai d’autant plus conscience quand je me lève comme ce matin dans la maison déserte, où seul règne mon propre désordre : yaourt entamés sur les plans de travail, habits sales jonchant le sol, fils d’ordinateurs épars suite à mon orgie de Youtube la veille. Ce matin, il y a si peu de lumière dans la maison qu’on dirait que le jour ne s’est pas levé. J’écoute ce silence. Les voitures qui passent au dehors. L’eau qui court dans les radiateurs. Mes propres doigts qui cliquettent sur le clavier.

Au-delà de deux, bien rares sont les grands-parents qui acceptent de garder tous les enfants d’une famille. Je mesure ma chance. Mais cette maison vide, ce calme glaçant ne me conviennent pas. Parfois, les gens qui n’ont pas encore ou pas envie d’enfants disent que les parents regrettent de les avoir eu. Je ne le crois pas. malgré la difficulté du job – et dieu sait s’il est difficile- entre une vie sans contrainte et une vie de famille, je choisis sans aucune hésitation la deuxième. Leur bavardage incessant, leur demande d’attention, et l’investissement qu’ils demandent : en courses, en préparation des repas, lavage de dents et surveillances des activités, ne pèsent rien par rapport à une vie de loisirs. J’ai autant besoin d’eux, de m’occuper d’eux, qu’ils ont besoin de moi. C’est un pacte d’amour infini que l’on fait quand ils naissent. Un pacte diabolique, puisque qu’on va jusqu’à sacrifier la majorité de son temps libre pour eux. Mais un pacte apaisé, puisqu’en retour, ils nous empêchent d’être livrés à nos névroses, nos angoisses et les voix intérieures qui résonnent. La même chose se produit chez moi avec mes engagements associatifs : je m’y investis si totalement que je n’ai plus le temps de penser à mes propres angoisses.

Il me faudra encore longtemps longtemps avant de ne plus avoir besoin de remplir ma vie jusqu’à ras bord pour accepter de la vivre pleinement. Mais je sais que j’ai encore un long, très long chemin à faire.

Commentaires

1. Le mercredi, 23 octobre 2019, 06:26 par Valérie de haute Savoie

Comme toi je ne regrette jamais d'avoir eu des enfants, même alors que G. était si mal et que ma vie était réellement un enfer. Et comme toi j'ai lu le livre de cette mère qui a perdu ses deux petites filles dans un accident de voiture. La seule chose que je n'ai pas en commun, dans ce billet, c'est des grands parents qui auraient gardé mes enfants en vacances :D
J'aime toujours te retrouver, et j'attends toujours une photo de ta maison :D