La fantastique arrivée d'A.

Je reprends le clavier pour vous raconter la fantastique arrivée d’A. la bien-nommée. (Depuis le temps qu’Y. rêvait de donner ce joli prénom de fille, c’est enfin chose faite)

Lundi dernier était le jour du terme.

J’avais rendez vous à la maternité pour un monitoring de contrôle, celui que j’ai toujours redouté. Sur mes deux précédentes grossesses, l’écoute du cœur du bébé en fin de grossesse avait entraîné un déclenchement pour R. 15 jours avant terme et l’annulation de notre projet d’accouchement à domicile pour L. trois jours après terme.

Je me suis rendue toute tremblante à la maternité où je devais accoucher, quasi-sûre de ne pas en repartir face à une nouvelle mauvaise nouvelle. Mais non. Mon bébé avait un mauvais rythme (encore !) mais rien qui inquiète la super SF. « Tu le sens bien bouger ? « Oui » « Alors c’est OK pour moi, rentre chez toi, on se revoit dans deux jours si tu n’as pas accouché ».

Avec Y. nous sommes sortis, dans le 13ème arrondissement ensoleillé. Ni lui ni moi n’avions envie de rentrer, retrouver nos filles excitées et mes beaux-parents dépassés. Nous nous sommes enfuis dans Paris, main dans la main. La soirée nous tendait les bras, la Seine était à deux pas. J’ai décidé de me faire faire un jolie pédicure pour l’arrivée du bébé et Y. est parti lire sur les quais. Nous nous sommes retrouvés ensuite pour papoter dans la lumière du couchant. Je sentais le bébé bien bas et je voulais encore profiter des quelques heures devant nous. Pas trop longtemps, j’étais fatiguée. Pas question de se faire un dernier ciné. Mais un bon burger et un cocktail sans alcool chez The Frog, ça c’était possible. Pendant le repas, j’ai senti des contractions, légèrement douloureuses. Puis nous avons pris le métro pour rentrer chez nous. A presque 22h, les filles ne dormaient pas et mes beaux-parents s’étaient repliés dans le salon, exténués, sans chercher à les recoucher. Je me suis allongée dans le noir, dans leur chambre, en leur intimant de dormir. En 5 minutes, les deux dormaient. Elles devaient sentir l’imminence de la naissance.

Nous avions laissé notre chambre à mes beaux-parents et nous dormions dans le canapé lit du salon. J’ai demandé au bébé de me laisser quelques heures de sommeil. J’ai passé un deal avec lui. « Tu me laisse dormir jusqu’à minuit. Si à minuit tu veux naître, je suis d’accord, mais laisse moi dormir d’abord ». Nous nous sommes couchés à 22h. Des contractions naissaient, légères, toutes les 20 minutes, me laissant largement le temps de me rendormir entre chacune. A minuit pile, pas une minute de plus, pas une minute de moins, la poche des eaux a littéralement explosé dans le lit. En une seconde, nous avons bondi Y. et moi, déboussolés et excités, ne sachant que faire devant ce flot qui continuait à couler alors que je me tenait debout, sans oser faire un pas. Ca y est. Notre bébé arrivait.

Nous avons pris le temps de prendre une douche, de terminer les bagages avec les dernières affaires : une brosse à dent, du dentifrice, le coussin d’allaitement. Entre deux contractions, j’ai écris un mot à mes filles et aux parents de Y. pour leur dire qu’on les aimait et qu’on partait à la maternité pour faire naître le bébé.

Nous sommes sortis dans la nuit. Il faisait doux. Pas un taxi en vue. Il a fallu marcher jusqu’à la porte. Je savais que la marche était bonne pour faire descendre le bébé. A chaque contraction, je m’arrêtais pour souffler, incapable de parler, mais tellement heureuse, tellement heureuse de son arrivée. Le taxi s’est arrêté. Je l’ai prévenu que j’allais crier. Il a rit et m’a dit « Pas de problème madame, j’ai trois enfants, faites comme vous voulez ». En vrai, je n’ai pas osé. Malgré la douleur, toujours plus vive, j’ai seulement soufflé, longuement, en souriant, les yeux dans les yeux de Y. qui m’encourageait en faisant la même chose. La partie costaude de l’accouchement pouvait commencer. A peine arrivés à la maternité, j’ai lâché mon premier cri, un son grave, un beau « Aaaah », très puissant, pour accompagner la contraction. Y. vibrait avec moi, bouche grande ouverte, de sa belle voix grave. Il me guidait, m’encourageait à ouvrir encore plus la bouche, à penser « Ouiiiiiii ». Nous avons retrouvé S. la super SF, qui m’a demandé de me déshabiller. Elle m’a annoncé un grand 4 d’ouverture. M’a proposé de m’installer sur le ballon, ce que j’ai refusé dès la contraction suivante. Non. Je serais incapable de gérer la douleur assise. Je suis restée debout, les mains appuyées sur la table d’accouchement. Les yeux dans les yeux de Y. Vibrant ensemble à pleine voix à chaque contraction. A chacune, je me disais « Mon corps n’est pas un traître. La douleur ne sera jamais plus forte que ce que je pourrais supporter ». Au bout d’une heure, S. m’a demandé d’arrêter de chanter. Je me suis mise à chougner, me plaignant : « Je n’y arrive pas. Je n’ai pas de répit. Ca cogne et ça ne s’ouvre pas, j’ai trop mal et j’ai peur. » Je voulais demander d’appeler l’anesthésiste. La douleur était plus forte que moi tout compte fait. S. a mis une main très douce sur le bas de mon dos et m’a dit « C’est normal d’avoir mal. Tu es en train de mettre au monde ton enfant. » Sans m’examiner, S. m’a demandé de me mettre accroupie. Elle a dit à Y. de se mettre dans un fauteuil et à moi de m’agenouiller devant lui, le visage dans son torse. Elle m’a demandé de ne pas me retenir et de pousser. J’ai trouvé sa proposition débile. Pourquoi pousser alors que j’étais à 5 ou 6 ? A part pour avoir plus mal ? Qu’on appelle plutôt ce putain d’anesthésiste ! Je ne pouvais pas parler, clouée par la douleur d’une nouvelle contraction. Profitant d’un temps entre deux, je me suis installée comme elle me l’indiquait, à genoux sur le sol. J’ai poussé. Et ce que j’ai senti grossir dans mon entrejambe, je m’en souviendrais jusqu’à la fin de mes jours. Une tête sortait. Tranquillement. En une seule poussée. Je ne ressentais plus de douleur du tout. J’étais juste concentrée sur ce qui se passait. Les yeux fermés, le visage toujours enfoui dans le t-shirt de Y. j’ai senti la tête sortir doucement, puis le reste du corps. S. derrière moi, a juste amorti la descente du bébé pour la poser sur un champ stérile sur le sol. Quand Y. et moi avons penché la tête, nous avons vu A. agitant bras et jambe, criant, yeux grands ouverts. Je me suis écriée, moitié sanglotant, moitié riant : « Oh bonjour, bonjour, bienvenue, bienvenue A ! », la ramassant et la tenant, toute gluante et chaude dans mes bras. Une heure seulement s’était écoulée depuis notre arrivée à la maternité. Deux heures quarante depuis la rupture de la poche des eaux. Nous étions encore sonnés, ravis et incrédules de tenir déjà dans nos bras notre petit bébé. Ainsi, ainsi, un accouchement pouvait aussi se passer comme cela ? Si simplement ? Souffler, crier un peu sur quelques contractions, pousser et faire sortir un bébé, sans même avoir le sentiment de souffrir ?

Je n’ai pas de mot véritablement pour décrire cette expérience. C’est un immense soulagement pour moi d’avoir pu vivre un accouchement comme celui-ci. De me dire que mon corps n’était pas un traître, qui martyrisait mes bébés et heureusement que la médecine moderne était là pour me sauver, les sauver, que sans LA MEDECINE MODERNE j’aurais été incapable de mettre au monde mes propres enfants. Cela m’a réconcilié avec mon corps. J’étais très confiante, pleine d’amour pour Y., pour le bébé à l’intérieur de moi, sûre que tous ensemble, nous allions réussir à mener à bien cette entreprise. Mais la façon dont cela s’est passé, aussi simplement et avec autant d’amour entre nous trois, a été tout simplement extraordinaire. Je voudrais remercier la terre entière, et me féliciter aussi, d’avoir gardé confiance tout ce temps, malgré la douleur à la fin qui m’a fait douter, alors que l’accouchement était quasi déjà terminé, ce que j’ignorais à ce moment-là.

A. est un petit bébé qui ressemble à tout les autres. Qui pleure alors qu’on veut passer à table. Qui tète maladroitement et me fait mal aux seins. Qui ressemble à ses sœurs, une fois plutôt à l’une, une fois plutôt à l’autre. A la fois qui ne ressemble qu’à elle. Mais je me souviendrais jusqu’à la fin de mes jours de sa fantastique arrivée. Puisse chaque femme vivre un jour pareille aventure. Il n’y a rien à en redouter. C’est une expérience incroyable et à la fois très simple. Même si j’en ai toujours douté pour moi-même.

Les bébés peuvent aussi arriver de cette manière. Et c’est fascinant à vivre.

Commentaires

1. Le dimanche, 24 avril 2016, 16:30 par Gilsoub

Bravo, ton texte est très émouvant et fait plaisir à lire. Encore tous mes voeux de bonheurs à cette jolie tribu (et bon courage à Y!) ;-)

2. Le lundi, 25 avril 2016, 07:04 par Valérie de Haute Savoie

Que c'est beau !

3. Le lundi, 25 avril 2016, 08:17 par charlottine

Belle et si touchante émotion !

4. Le lundi, 25 avril 2016, 18:46 par Oxygène

Quel bébé formidable ! Il t'a comprise et a attendu minuit pour entrer en douceur dans la vie. Sans violence.

5. Le lundi, 25 avril 2016, 21:58 par clem

quel magnifique texte! Imprime-le tout de suite et glisse -le dans un cahier qui sera destiné à A.! gros gros bisous

6. Le lundi, 25 avril 2016, 22:24 par samantdi

C’est chouette ! Je voudrais que chaque fille puisse lire ce texte tellement porteur d’espoir pour toutes !

Belle vie à A. qui a trouvé le chemin pour venir ici <3

7. Le mercredi, 27 avril 2016, 08:42 par clara

Magnifique! Quels souvenirs incroyables pour toi, pour vous 2, pour vous 3!

Tiens, une petite BD qui te plaira :
http://www.temesira.org/laccoucheme...

Bienvenue A.!

8. Le mercredi, 27 avril 2016, 17:46 par Marloute

A tous : merci pour vos gentils commentaires... je n'en reviens toujours pas, une semaine après son arrivée... Et merci Clara, bien sur, je connais cette BD, il faudrait que tout le monde puisse lire et connaitre ce qu'est un véritable accouchement. Je suis triste quand je constate qu'une grande partie des mamans ne peut pas mener son projet d'accouchement à bien parce que le protocole de l'hopital ne le permet pas... Quelle torture de les sangler sur la table d'accouchement et de les laisser ensuite souffrir en leur disant "Vous n'aviez qu'à appeller l'anesthésiste plus tôt!" C'est terrible de savoir que 98% des sages femmes qui sortent de l'école n'ont JAMAIS assisté à un accouchement physiologique.... Comment voulons nous que cela évolue si les femmes ne reprennent pas le pouvoir sur leur corps? Combien de femmes sont prévenues et ont accès à une sage femme libérale pour les accompagner? Si peu....