Noir c’est noir.

Depuis la naissance de L., les hormones, les douleurs du corps, le manque de sommeil me jouent des tours.

Je vogue sur une mer de sentiments contradictoires, ambivalents, des éclats de rires et des montagnes russes salées. Parfois, je pleure la nuit, sanglote dans mon oreiller, auprès de Y. endormi. Les motifs sont futiles en apparence : je n’arrive pas bien à allaiter mon bébé, je n’ai pas assez dormi, je ne suis pas assez présente pour R., ou parce que je fais une insomnie que je sais que je payerai le lendemain. Je m’inquiète d’un rien : des papiers administratifs, des tâches ménagères, des courses. Pourtant, Y. s’occupe de tout, mais en bonne control freak, je ne peux pas m’empêcher de penser - et parfois de lui dire à haute voix !- qu’il aurait fallu faire les choses autrement.

Mes journées se ressemblent, rythmées par les tétées et les siestes : mes levers sont beaucoup trop matinaux, j’écoute le 5/7 de France Inter et je me recouche après que R. soit partie à l’école. Je rumine s’il fait soleil, je m’apaise s’il pleut. Je suis réveillée de manière aléatoire par les petits bruits de L. qui s’agite dans son petit panier d’osier, de mon côté du lit. Elle gémit, gigote, agite les lèvres dans un bruit de succion. Je sais qu’il faut que je me réveille, avant les premiers pleurs qui éveilleront la maisonnée.

Notre chambre sent le lait et le bébé. La journée, je tire les grands rideaux pour me protéger du soleil et tente une nouvelle fois de donner le sein. J’ai mal, je serre les dents, me dégage, hésite à remettre mon mamelon dans la mignonne bouche, qui se referme avec la rapidité d’un minuscule piège à loup. Les gerçures se transforment en crevasses et je pleure, je pleure. 1 an d’allaitement pour R. ne m’aura rien appris sur comment ne pas souffrir des débuts d’allaitement d’un nouveau-né. Quand il doit apprendre, comment se positionner, quand je dois apprendre, comment m’installer, quand il faut s’accorder, prendre le temps d’une danse, un duo, une valse lente, hésitante, d’un accord musical entre le sein, la bouche, la succion, le rythme, le lait, la peau et l’humidité. Il y a quelques jours encore, je ne supportais même pas le contact du tissu contre moi et je ne répondais aux questions de Y. que par des grognements. La douleur me rendait agressive.

Une nuit, je suis même partie. A 4h, j’ai bondi sur mes pieds. C’était insupportable, je ne voulais plus supporter tout cela. Je suis partie, j’ai plongé dans un blouson, enfilé mes ballerines et je me suis enfuie, laissant Y. désemparé, un bébé heureusement endormi à ses coté. Je suis rentrée après une demie heure de marche rageuse dans les rues endormies, calmée et malheureuse, les joues mouillées de larmes, me rendormir pour quelques minutes, avant la tétée d’après.

Pourtant, j’aime cette vie. Profondément, contrairement à ce que je pense quand je vois tout en noir. Je suis heureuse de la présence de L. et de notre nouvelle famille.

Je caresse la joue rebondie de L. Plonge mon regard dans ses yeux gris-bleu et me repaît de son odeur, entêtante, envoûtante. J’embrasse ses mini-doigts, ses mini-pieds, je masse sa peau avec de l’huile, je sens ses cheveux.

Je profite, de dormir avec elle sur moi, sa tête contre mon cou et son souffle dans le creux de ma clavicule.

Elle et moi, toutes les deux toutes petites dans le grand lit.

Les bien nommées “suites de couche” sont toujours dures - plus ou moins- pour toutes les femmes. Pour moi, elles sont toujours très chaotiques, remuent des problèmes profonds, me laissent seule et désemparée, en demande de maternage sans pouvoir l’obtenir. Mais je sais aussi, contrairement au moment de la naissance de R. que ce temps-là, ce chaos-là qui suit la naissance, n’a qu’un temps, et qu’il finira.

Un jour, un jour,

les brefs moments de lumière seront bien plus importants que ceux de nuit noire,

et ce jour-là, j’oublierai.

 

Commentaires

1. Le samedi, 10 mai 2014, 15:46 par clem

Yes madam! you will forget, et surtout ça va passer!!!! tu tiens le bon bout!!

2. Le samedi, 10 mai 2014, 23:10 par Sibelius

Courage Marloute, tu vas y arriver. N'y a-t-il pas quelque chose en homéopathie qui pourrait t'aider ? Et pour les crevasses ? de la pommade au Calendula peut-être ? Help, les mamans et autres sages-femmes ?

3. Le dimanche, 11 mai 2014, 09:33 par Valérie de Haute Savoie

Le truc qui fait des miracles et qui ne présente aucun risque pour les bébés, c'est la pommade Castor Equi. Cela te calme instantanément les douleurs des gerçures. Le début de l'allaitement est toujours délicat, moi j'ai survécu grâce à cette pommade que mon frère m'avait conseillée :D
Marloute, quoique tu fasses tu ne seras pas une mère parfaite (et tant mieux) alors acceptes de ne pas l'être et repose toi, Y. est un bon père, tu peux lui laisser la main un instant, et R. de toute façon sera jalouse un peu, beaucoup, mais ce ne sera pas de ta faute. Je t'embrasse très très fort.

4. Le dimanche, 11 mai 2014, 12:19 par Althea

Bonjour Marloute,

Je vous lis depuis longtemps, me réjouis de l'arrivée de L. dans votre famille. Je sors de mon silence aujourd'hui, car je me retrouve dans vos mots, dans ce que j'ai vécu il y a 5 mois à l'arrivée de ma fille... Je ne savais pas si ces larmes finiraient par se tarir un jour (maintenant je sais que oui)... Ce qui m'a sauvée pour ce début d'allaitement extrêmement douloureux, c'est les bouts de sein en silicone... je sais que ça ne marche pas pour toutes, mais pour moi, ça a été miraculeux (et une fois l'allaitement mis en place, j'ai fini par m'en passer).
Je vous souhaite que les jours d'apaisement arrivent bien vite. Bien à vous.

5. Le dimanche, 11 mai 2014, 19:36 par Oxygène

Essaie tout, la pommade le silicone, que sais-je encore ? Je suis désolée de ces souffrances que tu en dures et espère pour très bientôt un billet moins noir.

6. Le lundi, 12 mai 2014, 10:11 par Leeloolène

Voilà... à force de plonger dans les cheveux de petite L. forcément tu vois du noir, le noir de ses longs cheveux ;-)
Alors hop lève les yeux et tu verras la vie en rose. Le rose de ses joues rebondies, le rose de la robe de R., le rose des fleurs côté bureau et j'en passe...

Plus sérieusement. Plein de courage copine, pour tout.