L'Histoire

 (Billet de vendredi, pas pu éditer avant, trop de bugs!)

Hier, je me suis levée plus tôt que d’habitude.

J’ai rangé l’appartement en bazar pour que la nounou de R. n’ai pas trop à faire. J’ai repensé à la soirée tartiflette de la veille, avec Leeloolène et G. un ex pas revu depuis longtemps. Nous nous étions couchés même pas tard, mais j’étais quand même fatiguée au lever. Cette journée serait fatigante. Je n’avais pas de solution de garde pour R. et je devais à tout prix me rendre à une projection presse suivie d’un débat, pour les besoins de mon enquête. J’avais appellé la moitié de mon carnet d’adresse suite au brusque désistement de mon baby-sitter habituel. Ce matin, une fois avoir accompagné R. à l’école (et lui avoir crié dessus pour qu’elle s’habille car elle résistait de toute ses forces à mes tentatives d’habillage) je marchais en direction du métro, car je ne pourrais pas prendre le RER pour cause de grève.

La nounou de R. a accepté de rester plus tard. Il nous en coutera environ 80 euros, autant dire un bras, voir la peau des genoux. Mais je n’ai de solution. Et je ne regretterai pas cet argent dépensé, au vu de la soirée qui m’attend.

J’arrive au travail à 10h. J’écris un article de 11 000 signes en une heure et demie. Je quitte mon poste pour sauter à nouveau dans le métro et retourner (quasiment) à mon point de départ. Une heure de trajet, une heure d’attente dans le cabinet de l’échographiste. Y. est toujours au pays du froid, il n’y assistera pas. Un léger pincement au cœur me prend quand je tombe sur les couples dans la salle d’attente, mais je pense bien vite à toutes les mamans qu’on abandonne pendant leur grossesse et je relativise. Mon amour est loin mais il est là, tout près, à portée de téléphone, pour me rassurer sur cette échographie qui permet de voir les malformations des bébés. Je ne veux pas connaître le sexe. Fille ou garçon qu’importe, je l’aime déjà, ce petit être de 488 grammes qui se balade et danse la samba dans mon ventre. C’est un bébé, un enfant, la sœur ou le frère de R., déjà un membre de la famille. Il aura un petit nez et des cheveux ras, des caca jaune d’or et une odeur entêtante. Je connais ça, je me souviens, je l’attends.

Je reprends le métro, retourne au travail. Je peaufine mon article, en commence un autre. L’après midi passe vite. A 19h, je suis toujours assise à mon poste, j’ai mal au dos, les yeux qui brûlent. La nounou m’appelle pour savoir ce qu’elle fait à manger à R.

Je pars, prend la ligne 3, m’arrête à Opéra. Je vais la projection presse et je retrouve tous les gens croisés pour mon enquête, à Châteauroux ou en Belgique. Je pleure pendant une heure trente que dure le documentaire. J’ai prévu le coup, je le savais, et j’enchaîne les mouchoirs. Ce sujet sur lequel je travaille, alors que je suis enceinte, me bouleverse. Mais j’assume. On peut pleurer et faire quand même du bon travail, au diable l’objectivité journalistique qui voudrait faire de nous des robots, nous restons des humains et certains sujets sont trop forts pour qu’on puisse les traiter en restant étrangers.

A minuit, je reprends la 4. J’arrive au terminus et passe à nouveau sous le périphérique. Il a gelé, il fait nuit et je marche doucement, portée par la fièvre de ce que j’ai vu et entendu ce soir. Une nouvelle ère commence, un nouveau monde est en marche, et je veux contribuer à ce changement de société via mon enquête. Il est temps, on sent, tous les indicateurs sont là, pour que les choses changent. Cela prendra du temps, mais ce soir, plus que jamais, je sais, je sens que j’accompagne un petit bout de l’Histoire.