Plus la fière

Ligne 13 du métro.

Problème technique sur la voie. Les minutes s’écoulent et la foule s’amasse. Nous sommes plusieurs centaines à nous engouffrer dans la rame. Il fait chaud, les gens suent, les hommes et les femmes sont collés les uns aux autres, loin, bien loin des périmètres d’intimité de chacun. Mes jolies chaussures à lacet me cisaillent les chevilles. Il faudra pourtant encore marcher, une fois arrivée chez l’ass’mat’, pour récupérer R. et rentrer par les petites rues. L’appartement est en bazar. Conséquence de notre retour à minuit hier, dans la chaleur de la nuit et la foule qui se pressait pour le 14 juillet. Trois jours mi-figue mi-raisin. J’ai adoré voir mes amis, avec ma fille, passer du temps chez les uns chez les autres. Mais j’ai de nouveau détesté être chez mes parents. Vraiment. Pas simplement pour leurs engueulades et leurs petites phrases perfides et mesquines qu’ils s’envoient, me prenant à partie, mais aussi pour leur comportement exaspéré avec R.

Oui, ma fille chouine.

Pour un oui, pour un non, elle couine, d’une manière insupportable. Plusieurs fois, ma mère a levé les yeux au ciel, soufflant bruyamment face aux refus de R. Pas patiente pour un sou. A son âge, j’aurais déjà pris des gifles pour moins que ça. Face à son comportement, je me contiens plus facilement, j’en ai vu d’autres. Je sais que ma fille n’est pas comme ça tout le temps. Elle est aussi vive et enjouée qu’elle peut être râleuse et chouineuse. Mais j’en veux à ma mère et à mon père de la forcer à faire certaines choses, pour lesquels je ne la sens pas toujours prête.

Et moi aussi, chez eux, je redeviens la petite fille qui attend des marques d’amour.

Le samedi soir, j’avais prévu de longue date de manger avec eux. En arrivant, le frigo est vide. Littéralement. Chez des gens qui ont toujours fait les courses, et alors que mon père ne travaille pas ce week-end-là, le frigo est vide. Il faudrait ressortir, aller dans la ville voisine acheter des pizzas, mais unetelle ne veut pas de pizza et l’autre l’accuse de ne jamais rien prévoir à manger. Je me retrouve prise entre les deux feux.

Ce qui pourrait être un accident chez n’importe qui, prend dans ma tête des air de drame : oui, le frigo est vide. Je ne suis ni attendu, ni bienvenue. La preuve : le frigo est vide. Longtemps, j’ai éprouvé le même sentiment quand j’allais chez eux et qu’il n’y avait même pas une chambre pour me faire dormir. Seul le canapé lit du salon pouvait m’accueillir. Depuis la naissance de R., les choses ont (un peu) changé. Mais la belle harmonie autour de sa naissance, la douceur et l’amour qu’elle avait réussi à susciter autour d’elle se fendille.

Ce soir, je rentre avec R., les chevilles mordues des lacérations de mes nouvelles chaussures. R. ne veut pas manger. Elle ne veut pas se laver. Elle n’a pas sommeil. Je cligne des yeux et je me vois la jeter par la fenêtre. Je dessers la table avant de la tuer. Ce serait dommage. Elle n’a pas faim, pourquoi en faire un drame après tout, elle ne mangera pas, ce n’est pas si grave. Je voudrais mettre la ratatouille dans des sacs de congélation. J’en ai trop fait, elle risque de se perdre. Mais le sac perce. Le jus de ratatouille s’écoule partout : sur le frigo, sur le sol, sur les ustencils de cuisine propres. Un jus gras, plein d’huile d’olive. Je pleure de rage, en épongeant. R. effrayée, en retrait, demande d'une petite voix :, « Ahpleure maman ? ».

Oui, vraiment, vraiment, ces derniers temps, je ne fais plus la fière.

Commentaires

1. Le mardi, 16 juillet 2013, 08:15 par Valérie de Haute Savoie

Ah merde ! Je comprends le trop plein qui te fait exploser en larmes, cette ratatouille dégueulassant tout. Oui vraiment je comprends que ce soir là tu te sois effondrée. Heureusement, si tu jettes R. par la fenêtre elle ne tombera pas de trop haut ;)
Et moi aussi je serais très très triste si j'arrivais chez mes parents et ne me sentais pas accueillie. On reste ad vitam eternam l'enfant de ses parents tout comme R. restera ta petite fille que tu accueilleras toi le frigo rempli.
Je l'ai trouvée charmante ta petite fille, et qu'elle chouine chez tes parents n'est peut être pas innocent :)

2. Le mardi, 16 juillet 2013, 21:40 par Marloute

@Valérie : ce soir, elle est charmante, malgré un aphte qui lui mange la langue, bichette.
C'est bizarre quand même de rester à ce point une petite fille (je parle de moi ! ;)).
Je me demande bien quand est ce qu'on devient adulte. Si ce n'est pas quand on a eu soi même un enfant?
en tous ca, cela me perturbe. Y. arrive demain soir tard... pfff, marre !

3. Le vendredi, 19 juillet 2013, 11:56 par Solete

Ton post me touche. J'ai souvent la même sensation quand je rentre chez mes parents. Je me rends compte que j'attends le moindre signe d'amour, d'approbation, de tendresse. Et en analysant, je m'aperçois qui le font à de nombreuses occasions mais avec des façons dont je ne me rends pas souvent compte, car je les tiens pour acquises.
Je les attends au tournant pour d'autres choses qu'ils ne peuvent pas me donner, car ils sont différents.
Donc, maintenant, j'essaie d'ouvrir les yeux, de voir ce qu'ils me donnent (qui n'est pas forcément naturel dans toutes les familles) et de m'en réjouir.

Pour le côté enfant, dernièrement, j'ai le sentiment que nous sommes enfants toute notre vie en fait. Que l'on "s'adultise" un peu, mais que nos souffrances, joies, peurs, envie de jouer, d'être aimés de notre enfance sont toujours là. Et soudain, j'imagine les gens autour de moi comme des enfants, et ça explique beaucoup de comportements.

Merci pour ton blog, que j'aime beaucoup.

4. Le samedi, 20 juillet 2013, 14:41 par Marloute

@ Solete : Merci, je crois que tu as raison...