La folie

 

 

Le matin, même si je pars très tôt, bien avant qu’Y. ne se réveille, j’aime bien entendre R.

Juste pour m’assurer, chaque matin, de sa vie.

Il me suffit de percevoir un petit bruit, un babil, à travers la porte close, et je pars rassurée.

Si au contraire, la chambre est silencieuse, je me sens mal. Me tortille, hésitante, sur le pas de la porte : je pars ou pas ? Chaque matin, ma crainte est toujours la même : et si elle était morte ?

Un an après sa naissance, je continue d’avoir ces pensées lancinantes et perturbantes, à chaque instant.

Elle court et tombe sans pleurer ?

Et si elle s’était cognée la tête, fait un traumatisme crânien et était décédée en quelques secondes sur le sol de sa chambre ?

Je ne suis rassurée que quand je l’entends se relever péniblement, le souffle court sous l’effort, et se dandiner en courant vers moi.

Sa sieste dure plus longtemps que prévu ?

Et si elle s’était enroulée la gorge dans sa turbulette, jusqu’à s’étouffer, et que je n’avais pas entendu ses râles d’agonie?

Je respire à nouveau quand je l’entends m’appeler puissamment, les cheveux trempés de sueur d’avoir trop dormi l’après-midi.

Mes parents veulent la garder aux vacances de Noël ?

Et si le chien lui sautait à la gorge et déchiquetait son visage, refusant de la lâcher jusqu’à ce qu’elle expire ?

Pour me calmer, ma mère m’assure que le chien ne sera pas présent à Noël.

La nuit, parfois, R. se réveille et pleure.

J’écoute chaque pleurs, compte les intervalles entre, vérifie l’heure, pousse des soupirs en écoutant ses gémissements. Je culpabilise de ne pas y aller (elle n’est pas malade, n’a besoin que de se rendormir) et d’un coup j’hallucine :

Et si elle était en train de faire une poussée de fièvre avec des convulsions soudaines, et que je ne daignais même pas me lever ?  

 

Je crois que depuis que je suis entrée en maternité, j’ai basculé dans une folie, une folie douce, certes, mais une forme de folie quand même.

Le fait de lire en ce moment son livre à elle n’arrange rien, encore moins maintenant que je sais, par une collègue de travail, que la mort subite du nourrisson peut arriver jusqu’à trois ans. Trois ans ! Moi qui croyait avoir un motif d’inquiétude en moins, même pas !

 

Avant, j’avais peur pour Y. (cela dit j’ai toujours peur pour Y., à chaque retard, chaque départ, je m’inquiète outre mesure et me fait des scénarios mentaux catastrophes)

 

Heureusement, chaque matin, quand j’entends enfin le babil de R., je peux fermer la porte et partir au travail.

 

Ma petite fille n’est pas morte et vient de se réveiller.

 

 

 

 

 

 

Commentaires

1. Le mercredi, 7 décembre 2011, 09:43 par Hermione

Bienvenue dans le monde des mères ! Cela dit, ces petites choses sont solides et nous avons connu quelques dents cassées, points de suture, trauma facial et nez cassé qui n'ont laissé que quelques petites cicatrices sans gravité.
J'ai encore un peu tendance à n'être 100% rassurée que quand les filles (20 et 23 ans, quand même !) sont avec moi. Ce sont les seuls moments où j'oublie parfois de prendre mon portable.

2. Le mercredi, 7 décembre 2011, 10:27 par clem

Les brochures d'informations disent que la mort subite peut survenir jusqu'aux 2 ans, pas 3...
Allez Marloute! Décompresse! Aie toujours un oeil sur elle, discret, qu'elle ne perçoit pas forcément, pour ne pas avoir à t'imaginer des choses.

3. Le mercredi, 7 décembre 2011, 18:15 par Marloute

@Hermione : c'est bien ce que je craignais, ça ne finira donc jamais!
@Clem : J'ai modifié ton commentaire : vas-y, balance mon vrai nom et mon adresse aussi... lol!

4. Le mercredi, 7 décembre 2011, 19:41 par captaine lili

Je sais d'expérience que la peur ne change rien à l'accident s'il doit arriver... Ça ne veut pas dire qu'il ne faut plus faire attention mais nous ne sommes pas responsables de tout... même face à un petit bout comme R....

5. Le jeudi, 8 décembre 2011, 06:16 par Valérie de haute Savoie

Oui cela ne s'arrête jamais, mais cela devient de plus en plus léger tu verras.