Jouer à perdre haleine

Je ramasse un pyjama qui traîne. Enfoui mon nez dedans, respire à plein poumons son odeur de bébé.

R. est devenue une drogue douce. Une drogue autorisée.

La salle de bain est dévastée : un body maculé, du pipi par terre le temps de faire couler le bain, des habits sales et étalés partout, la crème anti-rougeur encore ouverte et les cotons tous sortis de leur emballage plastique.

Le soir, avant que Y. ne revienne, je range l’appartement.

Il y a la clé du placard, une petite clé en fer forgé, qu’elle a adopté et trimballe partout, à la main ou dans la bouche, et qui ne doit pas être homologuée. Il y a ses restes de repas : jaune d’œuf écrasé, bout de banane, haricots verts solitaires, épinard étalés, que je m’efforce de décoller de sa petite chaise basse en osier. Il y a ces biberons qu’il faut nettoyer à longueur de journée et je me rends compte à quel point l’allaitement était bien plus pratique en comparaison. Il y a les magazines, les livres, les mouchoirs ou le papier W-C, malmenés, déchirés, dévorés avec entrain, avant que j’arrive à lui arracher des mains.

Je suis fatiguée, mais je m’en fous.

Le soir, quand j’arrive du travail, avec R, nous jouons.

Je me change aussi vite que l’éclair, et bientôt nous sommes toutes deux au niveau du sol (sale).  

Nous ne faisons souvent rien d’autre que jouer, et le bain est souvent oublié.

Elle initie le jeu : caché coucou, la poursuite à quatre pattes, les grimaces.

R. n’aime pas les chatouilles mais s’esclaffe à grand bruit face au comique de situation. Alors j’en rajoute, fais l’andouille, me trémousse, disparais derrière une porte ou simplement je fais semblant de la chercher avec un air très inquiet, alors qu’elle est sous mes yeux.

Mon bébé en redemande avec des hoquets de rire.

Alors je recommence.

Tant pis si ensuite, parfois, c’est la crise, pour évacuer la surexcitation et les tensions de la journée.

Dans sa chambre, un quart d’heure tous les soirs, on se cache dans les rideaux, on se met mutuellement des cubes dans la bouche.

R. fatiguée, vient se blottir contre moi et d’un coup fait semblant d’être un monstre qui me mange, avec force grognements.

Je me laisse manger de bonne grâce.

Elle roucoule de plaisir, montrant ses dents toutes neuves, et balance la tête en arrière.

La joie incarnée.

Bien sûr que le temps passe, mais ces minutes ensemble, le soir, quand nous jouons, ont valeur d’années.

Commentaires

1. Le samedi, 5 novembre 2011, 00:28 par Akynou

Tout ça me rappelle tant de souvenir.
C'est ce qui me faisait dire que la qualité valait parfois mieux que la quantité. C'est vrai, nous ne sommes pas tout le temps avec eux. Mais les retrouvailles et les jeux sont un tel bonheur...

2. Le samedi, 5 novembre 2011, 07:42 par Leeloolène

Et voilà... j'ai plein de bisounours dans le coeur tellement c'est tout mignon mignon ce billet ! Ca donnerait presque presque envie ;)
Profite profite !
bon par contre j'avais prévu d'offrir des cubes à R. pour son anniversaire... il faut que je change si elle en a déjà !

3. Le samedi, 5 novembre 2011, 09:51 par Valérie de Haute Savoie

J'aime tant ce que tu décris.

4. Le samedi, 5 novembre 2011, 10:10 par julio

C’est beau vraiment touchant ! ma mère continu parfois encore à faire le clown et pourtant ont est plus des bébés !

5. Le samedi, 5 novembre 2011, 13:15 par clem

Beau billet, les mots sont bien choisis et les situations soigneusement décrites : on s'y retrouve!

6. Le samedi, 5 novembre 2011, 19:07 par Marloute

Merci tous!
@Leeloolène : ce ne sont pas vraiment des cubes qu'elle a, plutôt des sortes de formes pour faire des constructions en bois!