J.

J. est ma vieille voisine, de là où je vivais quand je suis arrivée sur Paris en 2005, une chambre de bonne sous les toits. Nous avions fait connaissance à la fête des voisins que j’avais organisée la première année de mon arrivée. Elle avait alors 82 ans. Vivait seule, sans enfants dans son appartement depuis 20 ans, depuis la mort de son mari.

Depuis mon emménagement avec Y. à quelques rues de là, je continuais à la voir. Pour boire un thé, se promener…. Cet été, je l’avais même emmenée faire une croisière fluviale, sur la Seine. Quelle expédition ! A 87 ans désormais, J. marche tout doucement, voit mal et vacille. Elle sortait de moins en moins de chez elle et toujours dans le quartier. Là, nous avions pris le RER, nous avions marché, et pris ce bateau pour une visite des monuments parisiens, avec les Allemands, les Chinois, les Anglais de passage. Elle était rentrée fatiguée mais ravie. Ces derniers temps, je la trouvais en mauvais forme. Elle n’avait pas le moral. Alors pour Noël, je lui ai offert un massage dans un institut. Mais elle n’a pas eu le temps de profiter de son cadeau. A peine avait-elle reçu mon mot avec le bon pour le massage qu’elle est tombée dans son appartement, la veille de Noël. Elle est restée sur le carrelage jusqu’à minuit puis a réussi à appeler, et sa voisine, la gentille N. une femme magrébine, la trouvée et à appelé les pompiers. Cassure du col du fémur, voilà maintenant un mois qu’elle est à l’hôpital, puis à la clinique tout près d’ici. Et moi, je ne l’ai appris que la semaine dernière ! En fait, je n’avais pas voulu lui rendre visite, à cause de la grippe puis de ma gastro. Ensuite, j’ai appelé, appelé, appelé, de plus en plus inquiète face à son silence. Je suis passée chez elle, et j’ai laissé un mot dans sa boîte aux lettres. Et c’est là que N. m’a prévenue. Quel soulagement de savoir qu’elle n’était pas décédée ! J’en ai pleuré d’émotion.

La première fois que j’ai voulu passer la voir, deux jours après son coup de fil, on ne m’a pas laissée monter, à cause de R. Les enfants ne sont pas admis en dessous de 14 ans. Quel dommage ! Quelle déception pour J. comme pour moi !

La mort dans l’âme, j’ai du laisser mes éclairs au chocolat prévus pour notre goûter avec un mot pour elle lui expliquant la situation.

Heureusement, aujourd’hui, Y. étant à la maison, j’ai décidé de passer.

Quelle déprime là-bas!

 J. a perdu une dizaine de kilos. Elle vit avec une colocataire de chambre revêche devant laquelle elle doit passer pour chaque déplacement avec son déambulateur et qui veut tout régenter. Quand je suis arrivée, J. dormait en chien de fusil, les cheveux en pagaille. Elle a ouvert des yeux ronds quand elle m’a vue. Je lui ai rappelé qui j’étais, mais elle se souvenait heureusement de tout. Nous avons pu parler quelques temps et elle m’a confié ses soucis : la déprime du lieu, l’air du dehors qui lui manque, la marche, le soleil, les amis, son chez-elle. Je lui caressais le dos de temps à autre pour la réconforter, et je sentais que ce geste simple, une main passée sur son dos osseux lui faisait du bien. En partant, je l’ai trouvée ragaillardie, et je lui ai promis de lui faire passer du papier à lettre et des timbres pour qu’on s’écrive, à défaut de se voir, car je ne pourrais pas faire garder R. souvent.

Mais en sortant, j’ai pensé à elle, qui restait là-bas, et j’ai soupiré.

Je crois qu’on meurt autant de dépression que des maladies dans ces endroits-là.

Quelle angoisse que la vieillesse.

Quelle angoisse que ces cliniques, ces maisons de repos, ces maisons de retraites, voir ces mouroirs où nous allons tous finir !

 

Commentaires

1. Le dimanche, 23 janvier 2011, 21:38 par Valérie de Haute Savoie

Marloute en te lisant je me dis que tu es vraiment gentille.

2. Le dimanche, 23 janvier 2011, 21:54 par RdT

Oh non, Marloute, ne dis pas ça s'il te plaît, moi qui accueille mon premier résident dans neuf jours, et qui suis pleine d'entrain et d'enthousiasme pour que mon EHPAD tout beau tout neuf soit tout, sauf un mouroir...

3. Le dimanche, 23 janvier 2011, 22:36 par christine

j'ai été émue en lisant ton billet,
je travaille en tant que soignante dans une maison de retraite, et malgré toute l'attention, les soins et la gentillesse que nous offrons à nos résidents, c'est vrai que parfois, face à tant de détresse nous sommes impuissants. Mais ils nous apportent tellement de gratitude et de mots gentils .........
christne

4. Le dimanche, 23 janvier 2011, 22:43 par clem

les larmes me montent en lisant ce mot. Quelle solitude!... où sont ses enfants?... mon coeur se serre.

5. Le lundi, 24 janvier 2011, 08:57 par Marloute

@Valérie : en fait, je crois que la solitude des personnes agées est ce qui me fend le plus le coeur
@Rdt : oui, les mouroirs sont encore autre chose, j'espère que chez toi ce sera plus gai!
@christine : tu as raison, en partant, j'avais presque envie de lui prescrir des antidépresseurs!
@Clem : c'est bien le drame : elle n'en a pas!