Les p’tit boulots

 

Au travail, quand je décroche mon téléphone, à chaque fois que je passe par un standard téléphonique, mon cœur se serre. Je demande le plus distinctement à l’hôtesse de me passer la personne que je désire. Je répète mon nom, ne paraît pas pressée, même si l’info est urgente. Contrairement à d’autres journalistes, qui soufflent, tempêtent ou raccrochent au nez quand l’attente est trop longue, je suis une crème.  Idem pour l’hôtesse d’accueil en bas de l’entreprise, à qui je souris et j’envoie un bonjour sonore tous les matins. Idem pour la caissière de la biocoop que j’essaye de faire rire, même si je vois bien qu’elle a peur de faire une fausse manip’ en rendant la monnaie. Je suis gentille et compréhensive avec tous ces gens-là pour une raison bien précise, connue de moi seule : j’étais à leur place il y a un peu plus d’un an. Sortie de l’école, j’ai compris que le monde du travail ne m’attendait pas à bras ouverts. Je me suis fait des sueurs froides pour payer le loyer et l’analyse entre deux piges. J’ai enchaîné des petits boulots où j’étais à la fois inefficace, mauvaise et malheureuse. J’en garde un souvenir - non pas nostalgique- mais bien amer. Que d’énergie et d’enthousiasme gâché ! Les heures à ranger les rayons froids, à rester debout, à faire la caisse après la journée, à se faire exploiter, à remplacer des postes « cédéisables », à être méprisée continuent à me faire froid dans le dos en y repensant.
Chaque matin, je passe la porte de l’entreprise en étant heureuse.
Un vrai bonheur, puissant profond, qui est encore décuplé parce que je réalise, à chaque instant, la chance que j’ai. D’être là, et de faire ce boulot-là, que j’aime. Bien sûr, il a fallu toutes ces années, ces errances et ces impasses pour connaître et accepter les sujets qui m’animaient vraiment et prendre ma place dans cette société. Mais il y a eu la chance aussi, et des rencontres, qui ont fait que je suis là aujourd’hui. Et je frémis parfois en pensant à ce que j’aurais pu faire ce jour-là, où j’ai reçu ce mail, que j’aurais pu classer sans suite, pensant que je n’étais pas faite pour ça. Et j’aurais continué, avec entêtement, mes petits boulots et mes piges qui ne me satisfaisaient pas plus. Alors mon cœur se serre et je remercie un fois de plus l’hôtesse au téléphone, en espérant, mais comment en être sûre ? En espérant ne plus avoir à refaire ces petits boulots là.

Commentaires

1. Le vendredi, 30 octobre 2009, 10:47 par Akynou

La cauchemar est fini, tu vas pouvoir souffler. Et le fait que tu sois arrivée là n'a rien d'un miracle ni d'un coup de chance : c'est parce que tu as bossé dur et que tu as fait ce qu'il fallait pour. J'avais des copines québécoises qui disaient toujours qu'on était BBFC : bonne, belle, fine, capable :-) Une manière de lutter contre la dépréciation de soi. J'ajoute que tout ce que par quoi tu es passée, est un plus dans ton métier. Contrairement à ce que peuvent penser certains qui trouvent que ta nomination est bien rapide pour une fraîche arrivée, tu n'es pas une débutante. Tu as vécu des choses qui t'ont enrichi professionnellement, qui t'ont donné ce petit plus qui fait que tu es toi, une personne remarquable. Et que tu as une expérience de l'entreprise, certes atypique (encore que) mais réelle, un plus dans le monde du travail.

Cela dit, j'essaie toujours d'être poli avec toutes les personnes dont tu parles, avec le chauffeur de bus à qui je dis toujours bonjour, les standartistes, les personnes derrière les guichets. Pas parce que j'ai été à leur place. Mais parce que ce sont des personnes, des êtres humains et puis que que ça ne me coute rien mais que ça rend la vie plus douce (sauf que parfois, je pique des colères noires, et que là il m'arrive d'être odieuse…)Et j'essaie d'apprendre à mes filles de faire la même chose.

2. Le vendredi, 30 octobre 2009, 16:08 par Marloute

Akynou : Merci pour tes mots! Je suis d'accord avec toi, bien sûr qu'on est toujours poli avec tout le monde et je ne suis vraiment pas le genre de personne qui pourrait malmener qui que ce soit.
Mais c'est vrai que j'entretiens un rapport particulier avec les boulots que j'ai pu connaître, et que je suis encore plus attentive et soucieuse d'être vraiment, vraiment gentille. C'est un peu bizarre non?