L'interview

J’interromps une interview, alors que je n’ai pas le contenu pour écrire.
Depuis le début, mon interlocutrice, avocate, répond à demi mot, s’énervant de mes questions. Elle lève les yeux aux ciel, les ouvre comme des soucoupes, se rassoit profondément dans son fauteuil en soupirant, tripote son clavier. Me répond deux fois de suite : « Ca je vous l’ai déjà dit » ou bien « Non bhin ça il suffit de regarder sur Google » Résultat, je m’embrouille dans mes questions, bafouille au fur et à mesure que je rougis. Les oreilles en surchauffe, j’entends une voix dans ma tête qui encourage au déluge : « Elles sont trop connes tes questions, t’es vraiment une caricature de débile. T’as rien de plus intéressant à lui dire ? ».
J’interromps l’entretien après un énième soupir de la part de mon interviewée.
« Bon, je ne vais pas vous faire perdre votre temps, je pense qu’on va fonctionner autrement. Je vais me débrouiller, rédiger tout cela, et vous le renvoyer à relire. » Elle est d'accord. Se radoucit un instant en voyant mon état pitoyable. C’est sa secrétaire qui m’avait dit qu’elle serait d’accord pour ce rendez vous. J’aurais du me méfier et échanger quelques mots au téléphone avant avec elle. J’aurais tenu 15 minutes très précisément, alors qu’elle m’a pris à plus de 19h, après m'avoir fait poireauter une demie-heure.
Je m’engouffre dans le métro, face au Louvre.
Sanglote à gros bouillon. Pourquoi je réagis comme ça ? Pourquoi ne suis-je pas capable de jeter mon cahier sur la table, lui dire : « Bon, si vous n’êtes pas plus coopérative, ce n’était pas la peine de me faire venir ! » Pourquoi je ne sais pas taper du poing sur la table, ou au moins sortir dignement, sans les pommettes enflammées et de l’eau au bord des cils ? Tout ceci m’inquiète. Car j’ai la possibilité à court terme, de grimper dans la hiérarchie dans mon travail. Mais si une simple interviewée me met dans un tel état, que donnera le stress d’un bouclage, une collègue mal lunée ou juste méchante ? Comment s’imposer quand on n’a toujours pensé faire partie de l’autre groupe : les gentils, les faibles, ceux qui ont la larme facile et se font souvent entuber ? Pourquoi je ne fais pas partie des requins, des winners, de ceux qui poussent une gueulante ou un scandale ?Chez moi, je traîne les pieds, pleurniche encore un peu, prends un bain, mange un bout de quiche préparée par Y.
J’ai toute la nuit pour retourner ces questions.
Demain, je pars en reportage la journée.
Et comment faire cet article lundi sans les informations de base ?  Je suis bonne pour me casser la tête dessus ce week-end.
Ca m’apprendra tiens.

Commentaires

1. Le vendredi, 6 février 2009, 00:36 par Akynou

On pourrait comprendre que tu manques de confiance en toi en lisant l'article suivant, surtout devant une personne qui s'impose à toi.
Mais ça c'est de la psy à deux balles.
Tout simplement le métier n'est pas facile et l'exercice ardu. Et il en faut des interviews pour être parfaitement à l'aise face à un mauvais client. Moi, le premier sur lequel je suis tombée, il a eu tellement honte de lui à cause de sa manière de m'envoyer péter qu'il a rappelé et on a fonctionné par fax et téléphone et j'ai eu droit à des "scoops".

2. Le vendredi, 6 février 2009, 00:38 par Akynou

Comment s'imposer ? En interview, je sais pas. Mais dans la rédaction face une collègue méchante, la seule façon, c'est l'humour. On s'en sort par le haut et on met les rieurs de notre côté. Et puis après on va faire de la lèche à la méchante pour pas qu'elle vous en veuille à mort toute votre vie :-)

3. Le vendredi, 6 février 2009, 21:51 par Marloute

Akynou : ahaha. J'aime tes conseils et je sens qu'ils sont pleins de bons sens. Je crois que je vais m'en servir tiens....