L’agression.

Le souvenir a été si soigneusement effacé de ma mémoire que je n’arrive même pas à mettre une date dessus.
C’était en 1996… ou 97 ?
Je crois me souvenir que j’avais 16 ans.
J’avais rejoint mon petit ami de l’époque dans le Sud de la France. Il travaillait dans la restauration et avait de longues journées qui terminaient tard. J’étais rebellée contre tout, attirée par les marginaux et je m’ennuyais ferme. Je m’étais liée avec un groupe de zonards, des camés, des punks à chiens plus ou moins sans domicile que je retrouvais dans un point ou un autre de la petite ville pour faire un peu de jonglage. Quand l’un d’entre eux, moins connu, plus vieux, m’avait rencontrée par un bel après midi et m’avait proposé de visiter son squat, je me souviens que j’avais été ravie. Enfin, j’aurais un truc intéressant à raconter à mon amoureux ce soir !
Après avoir visité cette sombre battisse délabrée, je me souviens m’être retournée, avec une petite phrase « Bon, je pense que je vais y aller » La réponse de l’homme qui bouchait l’accès à la porte m’avait glacée.
Non.
Il a juste dit non. Et j’ai compris, dans mes tripes nouées et ma soudaine envie de vomir, que j’allais passer un moment pas très agréable. Quand j’ai pu enfin sortir, je suis rentrée directement me laver. Je crois que je me suis mise au lit très tôt avec un livre et que ce soir-là, j’ai fait l’amour avec mon amoureux comme pour effacer l’autre.
Jamais l'idée ne m'a traversée d’aller porter plainte.
Plainte pour quoi ? Pour m’être conduite comme une oie blanche ? Alors que d’autres m’avait prévenu bien avant ? (tu vois de qui je parle Leeloolène) Aujourd’hui, je suis en analyse. Et je reviens parfois sur cet « événement », que j’hésite toujours à appeler « viol ». J’opte pour des expressions détournées... (« passage à la casserole » me plait plus), bizarrement.
Je n’en veux absolument pas à l’agresseur. C’était un pauvre type. Un con. Aurait-il mérité la prison ? Pas sûr. De l'aide, oui. Moi, je lui suis reconnaissante de ne pas m’avoir rouée de coups, car je les craignais bien plus que l’acte sexuel. Bien sûr, avec le temps, je me rends compte que ma culpabilité était (et est toujours) déplacée. Mais une petite voix en moi me dit « Tu l’as bien cherché va ». Merci à Valérie qui par, son billet, a fait remonter ces choses que l’ont voudraient toutes parfois tellement oublier.

Commentaires

1. Le jeudi, 5 février 2009, 21:38 par clem

Marloute......

2. Le vendredi, 6 février 2009, 00:47 par Akynou

Qu'on voudrait oublier mais nous change définitivement...
Je connais ce sentiment de culpabilité. Cette saloperie de petite voix. Mais va falloir qu'elle se taise, la voix, parce qu'elle a tord. Pourquoi, parce qu'on est fille, n'a-t-on pas le droit d'aller visiter un squat, de se balader dans la rue, de voyager, sans risquer de se faire violer.
Le passage à la casserole peut être consentant ou pas. Dans ce cas, c'est un viol.

3. Le vendredi, 6 février 2009, 21:49 par Marloute

Clem : oui, hum, je sais...Dis comme ça, ça fait un peu "bombe", mais en fait je le vis assez bien puisque j'en parle de temps en temps. Je crois qu'il était temps d'en parler ici aussi
Akynou : oui, moi aussi cela me révolte. Je vois des femmesde tous âges autour de moi, me raconter leurs agressions et je m'énerve moi aussi de notre vulnérabilité. Et à chaque reportage, quand je suis seule dans un endroit isolé avec mon interviewé, j'y pense aussi. Quel dommage de ne pas avoir cette tranquillité d'esprit qu'ont les hommes! Faire du stop, dormir seul à la belle étoile, aller le soir dans un bar... autant de choses auxquelles nous n'avons, pour l'instant, toujours pas accès. Et je pense que la voix se taira un jour. En tout cas, je compte bien l'aider à se taire!

4. Le lundi, 9 février 2009, 21:43 par capitaine lili

Je disais "ma bouche tordue"... je dis maintenant "ma paralysie"... lorsqu'on arrive à mettre les vrais mots sur les réalités on est + libre... tu verras, ça viendra... Déjà l'écrire ici, même si tu dis que tu en parles, ça a du sens, non ?

Et puis rien à voir avec cette note mais c'est aussi ça la vie... j'ai vu ta grand-mère ce week-end :-)

5. Le mardi, 10 février 2009, 19:05 par Oxygène

J'en ai les jambes coupées ...

6. Le mardi, 10 février 2009, 20:15 par Leeloolene

J'en suis restée sans voix chaque fois que je suis venue et revenue lire ce billet. Et surtout incapable de laisser le moindre commentaire... Mais je ne peux pas non plus rester dans le silence car c'est bien trop grave pour ne pas te dire au moins ma révolte que des mecs puissent être capables de telles choses. Et non, tu n'as AUCUNE responsabilité. NON... ce type est dans sa totale et entière faute et RIEN, ni l'alcool, ni la défonce, ni le désir, ni aucun argument ne lui donne la moindre légitimité.

Aussi proches que nous sommes, tu ne m'avais jamais raconté ce terrible évènement, même si je me souviens bien de ton époque rebelle. Par contre... c'est bien de JL dont tu parles et qui t'avait mise en garde ?? Je ne vois pas qui en fait... mais seul son nom me vient à l'esprit pour expliquer pas mal de choses par la suite. Des éléments que je commence à remettre dans l'ordre.

Je t'embrasse fort. Et l'avoir écrit, c'est déjà un grand pas pour ne pas garder cet événement pour toi un instant de plus.

7. Le mercredi, 11 février 2009, 19:19 par Fauvette

Marloute, je t'embrasse.

8. Le mercredi, 11 février 2009, 19:29 par Oxygène

Moi aussi, je viens et je reviens lire ce billet. Incrédule et révoltée. Jamais je n'ai eu peur du viol et je me rends compte que comme toi, j'étais inconsciente, confiante. Se pourrait-il que simplement j'ai eu de la chance ?

9. Le jeudi, 12 février 2009, 20:30 par Marloute

Pardon à tous et toutes de vous avoir laissé sur ce billet terrible!
Capitaine Lili : je crois que tu as profondément raison, il faudra un jour que j'apprenne à le nommer... Mais c'est pas encore gagné!
Oxygène : Je crois que c'est une question de chance, parce que je n'en reviens pas du nombre de jeunes femmes qui me racontent des histoires similaires, et bien plus terribles. Il y a encore un gros tabou là-dessus.
Leeloolène : Oui, c'est vrai que je ne t'en avais jamais parlé, mais j'ai commencé à le raconter récemment. C'est venu un jour pendant une séance d'analyse. Et la voix est bien la sienne! Comme si une "prophétie" avait été prononcée sur moi, et que cette agression donnait raison à ce sale type. Brr, quand j'y pense, ça m'enerve encore plus.
Fauvette : Merci!

10. Le jeudi, 12 février 2009, 22:26 par Fiso

Je crois que j'aurais eu la même attitude que toi. Je me souviens de plusieurs fois où j'ai eu chaud, moi aussi, naive que j'étais alors, mais j'ai glissé 2 ou 3 phrases (c'est con hein, mais j'ai dit que mon père était flic) et je m'en suis bien sortie.
Ca mé révolté, moi aussi, cette "vulnérabilité" féminine qu'on ne peut nier même si parfois on essaie.

11. Le mercredi, 6 mai 2009, 07:17 par Valérie de Haute Savoie

En suivant le lien de ce matin, aimant l'écriture de ton blog, j'ai déroulé les billets lisant tes instants de vie et je tombe sur celui là qui me réveille un autre souvenir que je ne nomme pas viol non plus, mais dont il faudra que je parle aussi. Je n'ai pas de fonction me signalant les liens qui sont fait vers mon blog, alors je te remercie seulement maintenant, mais à chaque fois cela me fait tellement de bien. Et je lisais plus haut ce désir de prouver (de te prouver ?) que malgré le peu de confiance que tu as en toi, ils n'ont pas fait d'erreur en t'embauchant... je connais cela aussi ;) Et bravo pour ton amoureux et son CDI (je connais cela aussi... mais pour moi ! égoïstement)
C'est sûr que je vais revenir !

12. Le mercredi, 6 mai 2009, 20:40 par Marloute

Et moi donc qui te lis toujours plus régulièrement! Il est grand temps que je te mette dans mes liens!