Le passé, le présent

Il y a 10 ans.

Il y a 10 ans, en 1997, j’étais au lycée. Avec notre groupe d’amis, nous faisions de l’art plastique. Nous étions en première littéraire, tout le monde habitait encore chez ses parents. Il y a 10 ans, je faisais du jonglage toutes les semaines dans un centre culturel. Je pensais que je deviendrais une grande spécialiste des animaux. J’étais avec un jeune homme dont j’étais très amoureuse. De lui, je suis tombée enceinte. Il y a 10 ans, j’ai avorté, une journée de novembre où le ciel était blanchâtre. Je n’en ai que peu de souvenirs, juste le mépris des infirmières, la colère de ma mère et le courage de ce petit ami, qui, si je voulais garder l’enfant, était prêt à changer de métier pour qu’on l’élève. Moi je ne voulais pas et la suite m’a donné raison.

 

Il y a 9 ans, en 1999, il m’a quitté, un peu brutalement, un soir de juin, pendant les épreuves du baccalauréat. Il faisait doux et j’ai marché longtemps dans la nuit, regardant la Saône gonflée de pluie. Je ne regardais pas où j’allais, j’étais toute pleine de malheur. Cette année là, je suis partie en Guyane un mois. Je me souviens que j’essayais d’échapper au chagrin. A la rentrée je me suis orientée vers des études de lettres. Les week-ends, avec une amie, nous écumions les bars et mettions des notes aux endroits qui nous avaient plut.

 

Il y a 8 ans, en 2000, j’étais au Nigéria. Je faisais des photographies de serpents, en sachant bien que je n’étais pas très bonne en photo. Je me souviens que pendant ces deux mois, seule sous ma moustiquaire, je me suis demandée plusieurs fois ce que je faisais là.

 

Il y a 7 ans, en 2001, je fumais des joints à la fac. Je vivais dans mon appartement, le bar en bas de chez moi était un des lieux les plus sympa du quartier. Je voulais tenter les écoles de journalisme. Je suis partie au Québec faire un reportage d’un mois et demi sur les baleines. Je n’ai pas réussi à vendre le reportage. En rentrant, je suis devenue amie, une amitié très fusionnelle, dévorante, exclusive, douloureuse et enchantée, avec une fille de la fac. C’est elle qui m’a présenté Y.

 

Il y a 6 ans, en 2002, nous nous réunissions tous les jeudi soir chez ma copine R. Nous buvions du martini blanc en parlant des garçons. Ca s’appelait les « soirées filles » et c’était ma bouffée de respiration. Y. était toujours fuyant. Il me regardait à peine en soirée, n’appelait pas pendant des jours et des jours. Moi, je m’habillais en fée, je courrais le surprendre. Une nuit, j’ai même écrit sur une immense planche de bois : « je t’aime ». Nous l’avons accrochée à un arbre en face de sa porte avec trois autres amis. Mais Y. n’appréciait pas ces démonstrations d’amour. Y. continuait à me fuir.

 

Il y a 5 ans, en 2003, je tentais les concours d’école de journalisme. Y. avait été pris à la fin de l’année d’avant, et était parti à 500 km. De fait, il s’était radouci, comme si la distance avait calmé légèrement sa peur de l’engagement. Moi, je venais de réussir Tours. Là bas, je me passionnais pour les études de journalisme. Sentiment d’avoir trouvé ma voie, que le monde s’ouvrait enfin.

 

Il y a 4 ans, en 2004, à la fin de nos études, j’apprenais que Y. ne voulait pas vivre avec moi, même si nous rentrions tous les deux à Lyon. Je montais donc le voir à Paris et le quittait brutalement. Je suis retournée chez mes parents. Je ne veux plus faire de journalisme. Ne m’intéresse plus ni à la nature ni aux animaux. Ai remplacé Y. très vite par un jeune homme adorable que je ne regardais même pas. J’ai cru devenir folle et je le devenais un peu. Une nuit, alors que je revenais d’une soirée, marchant dans Lyon, je vois devant moi un jeune homme en train d’écrire un texto. C’est Y. Il est en train de m’écrire, ne sais pas que je me tiens devant lui. Quand il relève les yeux, il a le souffle coupé. Il me dit « S’il y a un Dieu quelque part, il m’a entendu » Nous nous embrassons comme dans les films, au milieu des larmes.

 

Il y a 3 ans en 2005, je quittais à nouveau Y. qui n’arrivait pas à se débarrasser de ses peurs et ne voulait toujours pas vivre avec moi.  Il me laisse partir, résigné. Je suis folle de douleur. N’en peux plus de le croiser en soirée, dans les bars du quartier. Je pars à Barcelone trois mois. Mais je me fatigue de jours en jours. Je pleure dès que je quitte le travail. Dans la bibliothèque de BCN, tous les soirs jusqu’à la fermeture, je goutais la tranquillité et un apaisement relatif. Les nuits, je cherchais des amants dans les lieux branchés. Consommait des garçons, dans les boites, comme on prend des apéritifs. Une semaine, j’ai trois amants différents. Je me dégoute. Je ne le sais pas encore, mais je suis en dépression.

 

Il y a deux ans, en 2006, je montais sur Paris. Toute ma bande d’amis du lycée et mes copains de promo me suivait ou m’avait précédée. Je vivais dans une chambre de bonne très éclairée. J’avais un bébé chat, j’étais sous antidépresseur, je commençais une analyse. J’ai arrêté l’alcool pour 8 mois, et les garçons par la même occasion. Un jour, on me vole mon ordinateur dans l’appartement. Je perds tous mes textes, écrit depuis des années. Pendant des mois, je n’ai qu’une petite radio et rien d’autre à faire qu’à écrire dans mes carnets, faire des photographies, vivre de mes petits boulots dans l’édition. Et puis Y. refait son apparition. Il a changé me dit-il. Il veut s’engager avec moi. J’attends qu’il montre patte blanche. Je refuse d’aller chez lui, ne veut pas qu’il mette un pied chez moi. Nous nous donnons rendez vous entre Paris et Lyon, dans un lieu neutre. Ce sera Beaune. Quand je vois sa silhouette au bout du quai de la gare, je comprends que c’est lui. Pour longtemps.

 

Il y a un an, en 2007, je me lançais dans l’aventure des blogs. Je vivais en couple avec Y. depuis quelques mois. Je me disais que c’était extraordinaire de vivre un tel bonheur. Aussi lisse, aussi intense. Malgré les galères financières, je trouvais la vie sur Paris si riche, si belle : les expos, les terrasses des cafés, les fêtes chez les copains, les pique-niques l’été. Je ne veux plus quitter cette ville. Dès que je m’éloigne quelques jours, je suis triste. Comme Nicolas Sarkozy est élu président, je me lance dans le syndicalisme, pour aider et défendre. Je m’engage aussi dans l’environnement, bien que cela m’intéresse moins qu’avant.

 

Cette année en 2008. Je suis embauchée dans une rédaction. Je découvre que je m’épanouis dans un sujet auquel je n’aurais jamais osé penser, les bébés. J’ai la tête pleine de projet de vie : un bébé, un PACS, une maisonnette à la campagne, un T3. Tout me paraît facile, limpide. La vie avec Y. est toujours aussi belle. J’aime l’homme qu’il devient, alors que je le détestais passionnément en « jeune homme ». Je continue l’analyse. Je prends soin de moi. Commence à savoir ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux. La vie avance et j’avance avec elle.

 

10 ans.

En 27 ans. 

C’est très peu. C’est beaucoup. C’est un bout de ma vie.

 

 

Commentaires

1. Le jeudi, 30 octobre 2008, 17:03 par Leeloolene

BOUHHH !! Qu'il est beauuuuu ton texte !!! Quelle merveille. Fabuleux. J'adore j'adore. Ce long bout de vie, tu l'as vraiment magnifiquement écrit. bravo !

2. Le jeudi, 30 octobre 2008, 17:58 par Oxygène

Superbe ! Waooouuuuh!

3. Le vendredi, 31 octobre 2008, 00:05 par Lyjazz

Je comprends mieux : un bloc de vie, beaucoup de vécu engrangé... l'approche de la trentaine et l'envie de se poser avec cet homme qui est enfin là.
Très beau texte.
Impression qu'il pose des fondations.
J'attends la suite, donc...

4. Le vendredi, 31 octobre 2008, 17:22 par Moukmouk

Oui, un beau texte...

5. Le samedi, 1 novembre 2008, 00:48 par Marloute

Merci tous!

6. Le lundi, 3 novembre 2008, 10:16 par captaine lili

C'est vrai qu'il est très beau ce texte. "c'est très peu. C'est beaucoup. C'est un bout de ma vie"... je comprends ça...

7. Le lundi, 3 novembre 2008, 12:21 par clem

un beau texte, oui.

8. Le lundi, 3 novembre 2008, 14:28 par Fauvette

Beau bout de ta vie. Beau texte, merci Marloute.