Pendant qu'elle se meure...

J’écris des mots légers, je raconte mon week-end, enfouis mon nez dans le t-shirt de Y, me pose un masque de beauté sur le visage….pendant qu’elle se meure.
J’écoute de la musique, danse dans mon salon, prépare un cake pour le pique nique de demain, je chantonne… pendant qu’elle gémit.
Je rie avec Y., passe un coup de fil à une amie, lis mes mails en buvant l’apéro… pendant qu’elle croupit dans une clinique.

Elle est assommée de médicaments, les opérations successives de ces dernières semaines, les deux anesthésies générales. Ses cheveux blancs font des paquets. On dirait un épouvantail. Ses grands yeux bleus se remplissent de larmes soudain, puis elle marmonne et bave sur son drap d’hôpital. Elle balaie de la main des hallucinations. Par bribes, elle raconte ce qu’elle voit aux gens qui entourent son lit : des photos, la maison d’une madame Roger qu’elle a l’air d’avoir connu.
Elle murmure des choses à des gens morts depuis longtemps. C'est redevenue une petite fille, qui appelle sa propre mère. Elle ne reconnaît pas sa sœur, et ne lui répond pas depuis deux jours. Elle a 92 ans. Elle n’a pas d’enfant. Je l’ai toujours connu en bonne forme.
Grosse mangeuse, aimant le bon vin, les plats en sauce. Elle aimait cultiver son potager, planter des rosiers, partir à la chasse avec son second mari et son chien, un braque qui se mettait à l’arrêt au moindre mouvement dans les broussailles. Elle laissait sa chatte Lola grimper sur la table,et chiper des bouts de nourriture pendant qu’elle préparait son repas.
J’aimais son odeur et ses baisers trop longs, sa façon de me donner des noms d’animaux « Ca va mon lapin, mon poussin, ma ratte »
Hospitalisée, re-hospitalisée, perdant peu à peu la mémoire, elle m’a quand même reconnue au moment de mon départ, quand je suis descendue la voir il y a quelques semaines. Elle m’a embrassé « Au revoir ma Parisienne ». J’en avais les larmes aux yeux. Ce soir, elle meurt dans sa chambre d’hôpital, et moi je pense à elle, à ma grande tante, cette sœur de ma grand-mère, qui meurt ces jours.
Je voudrais tenir sa main, lui masser les pieds, recueillir son dernier souffle.
Et je suis loin.
Je suis chez moi, je vis ma vie.
Et la nuit je pleure en pensant à elle et à comme la mort est triste, quand on est seule, à l’hôpital, et que c’est la fin…

Commentaires

1. Le lundi, 12 mai 2008, 23:29 par akynou

Il y a des posts que les trolls bien élevés devraient éviter de polluer...

C'est triste d'être loin de tout; que ce soit pour vivre ou pour mourir. J'espère que le personnel soignant saura bien l'entourer.

2. Le mardi, 13 mai 2008, 00:41 par Moukmouk

La fin fait partie aussi de la vie. J'espère qu'elle n'a pas souffert. De plus en plus des médecins intelligents aident à ne pas souffrir et c'est tant mieux.

3. Le mardi, 13 mai 2008, 10:48 par Marloute

Akynou : j'ai supprimé le message du trolien spamien. Cela faisait vraiment mal de voir ça là.... La journée, la famille est là avec elle, mais je pense à la nuit....

Moukmouk : Elle souffre, alors les médecins lui donnent des médicaments, mais elle est à moitié présente. Les antidouleurs évoluent, mais pas au point de rester complètement alerte. Je sais que la mort est ce qui nous attend tous. Nous allons tous nous retrouver un jour à râler dans un lit, qu'il soit d'hôpital ou non, et sentir le monde se voiler petit à petit autour de nous. Mais jaimerai tellement être près des gens que j'aime dans ces moments là... Ne pas habiter si loin...