L'affiche




Arrachée.
Enlevée.
Mon affiche de la fête des voisins a été enlevée sans aucune autre forme de procès.

A la place il y a le grand vide du couloir de l’immeuble. Il y a près de 60 voisins dans cette copropriété et certains ont décidé que la fête n’aurait pas lieu. Je croise la concierge. Elle me dit « Je m’attendais à des crasses dans ce genre, de la part de certains » Je suis encore plus surprise. Alors, ce que je redoutais arrive. On prend vraiment mon initiative pour une bêtise ? Et pourtant, c’est déjà toute une aventure pour moi d’aller taper à la porte d’un voisin pour lui emprunter quelque chose. Moi aussi je redoute ces inconnus/un peu connus. Moi aussi ce soir-là, j’aimerais me terrer chez moi et n’avoir rien à leur dire…
Hier, journée puissante. Relu une quinzaine de fiches animaux. Fait une interview le matin, sur une initiative de solidarité de quartier étonnante : une maison. A l’initiative du projet, deux femmes qui avaient décidé de quitter notre quartier des épinettes. Juste avant de partir, elles décident de louer un deux pièces cuisine en rez de chaussée, pour 800 euros par mois. Leur but ? Créer un nouvel espace, pour que les gens seuls et les voisins s’y sentent comme chez eux. Leur programme, ouvert à tous, des prix imbattables, fait rêver.
L’idéal ? Que d’autres osent faire la même chose partout ailleurs. Proposer des espaces où l’on n'est pas obligé de consommer, où l’on vient comme ça, pour voir des gens, participer à des activités, sans se ruiner.

Après l’interview, je passe chez mon ami R. Il dérush une interview d’Alain Robbe-Grillet, pour son film. Me lit des passages. Je suis assise sur son lit, enveloppée de ses draps graisseux qu’il ne lave jamais. Je regarde les montagnes d’habits sales, les DVD étalés, les BD, les journaux, les magazines. Tout est sale, une garçonnière, au 6 ème étage, une vraie. Sur la table à côté de l’ordinateur un paquet de Prince et du coca, des miettes des « saladières » qu’il a déjà mangé. Dans un coin du lavabo, la vaisselle pourrit et adhère au torchon. Souvent, quand j’arrive, avant même de lui faire la bises, j’ouvre sa fenêtre en grand, et j’aère son nid. J’aime aller chez lui, parce qu’on regarde des séries sur son grand lit, on écoute des albums qu’il reçoit par la Poste, où il me lis ce qu’il écrit. C’est un ami, mon ami. R. me donne deux DVD à chroniquer pour le soir. Il y a Mala Noche de Gus Van Sant, un jeu de chat et de souris amoureux entre un blanc homosexuel et fauché et un mineur mexicain immigré. Il y a aussi Le temps des gitans, qui ressort en prévision de l’opéra Punk de Kusturica, qu’il jouera à l'Opéra Bastille cet été.

Je rentre chez moi. Regarde les DVD, écrit les critiques, fait repasser Y. derrière moi, parce que par-dessus mon épaule, il ose dire que « Ce n’est pas français ».

A minuit, on est content du résultat. On envoie l’e-mail.

Quelle journée.
Demain, il faudra remettre une affiche.
Je tremble qu’elle soit à nouveau enlevée.