La journée de jeudi était éprouvante.
Attendre une partie du jour pour savoir qui reste et qui part dans le groupe, lire dans la presse ce qui nous concerne, ne pas réussir à se concentrer à cause des bruits de couloir, décider d’aller chercher à manger au Monop' du coin pour pique-niquer ensemble, à plusieurs rédactions, à la machine à café, accueillir les salariées en larmes d’une rédac qui n’est pas conservée, partager ensemble le vin, le jambon, le chocolat, pour absorber le choc, laisser sortir les émotions, partir en AG pour décider de la suite, et voter la grève, à l’unanimité, subir les foudres de P., qui tourne, inquiet lui aussi, mais soulagé comme nous, de ne pas être dans la charrette.
Le soir, le soir, retourner voir ma sage-femme, celle de mon premier accouchement.
Elle a ressorti mon dossier, me montre les monitorings, m’explique qu’on n’aurait pas pu faire autrement que faire ce déclenchement et cette césarienne. Moi, je pleure, je pleure, j’essaye d’expliquer, je ne peux pas, j’ai du mal, c’est difficile et douloureux de sortir des mots, de parler posément de ce sentiment de dépossession, cette perte de soi, cette distance infinie que cela a crée avec mon nouveau-né. Incapable d’accoucher, incapable de mettre au monde seule, incapable ensuite de se pencher pour prendre son bébé qui pleure, car la cicatrice à vif vous invalide trop. Et ces mois passés à ne pas aimer R., tous ces mois, dont nous nous serions toutes les deux bien passées.
En partant de chez la sage-femme, je suis vidée, fatiguée.
Mais un peu mieux quand même. Remuer tout ça, même si c’est un vécu douloureux, est important, je dois continuer.
Pas simplement pour moi, pour R., pour Y. et pour un autre petit être.
J’attends un autre bébé. Et contrairement à tout ce que je croyais avant d’être enceinte, je suis heureuse. Inquiète, tourmentée, mais heureuse.